« Matrix Generation », le documentaire qui décode la saga révolutionnaire (2024)

Pourquoi revient-on sans cesse à Matrix? Pourquoi n'a-t-on jamais fini de comprendre, d'explorer, d'embrasser pleinement la saga des sœurs Lana et Lilly Wachowski? Alors qu'on célèbre les 25ans du premier volet – Matrix (1999), qui a donné son nom à la saga –, Arte propose ce mercredi 28août, à 23h35 (et sur sa plateforme arte.tv jusqu'au 25novembre prochain), le documentaire Matrix Generation.Ce dernier analyse le phénomène qu'est cette franchise singulière.

Réalisé par Benjamin Clavel, coécrit avec Julien Abadie et Jérôme Dittmar, ce documentaire montre notamment comment la tétralogie – s'ajoutent à Matrix trois opus: Matrix Reloaded (2003), Matrix Revolutions (2003) et Matrix Resurrections (2021) – a généré une increvable fascination, toujours intacte en 2024.

Un ovni à la sortie en salle

Quand le premier volet débarque, il déconcerte pourtant ses premiers spectateurs. En 1999, depuis quelques années, les blockbusters remplis d'images de synthèse sont rois. Independence Day (1996), Twister(1996), Armageddon (1998), pour n'en citer que quelques-uns… Hollywood en produit à la pelle.

Alors quand un film de science-fiction nommé Matrix, produitpar Warner, avec en tête d'affiche Keanu Reeves, la star de Point Break (1991) et de Speed (1994), s'invite dans les salles, le public s'attend donc à un énième pop-corn movie.

Et le résultat va tromper à 100% la routine redoutée. Matrix sera un ovni, dont Benjamin Clavel se souvient encore: «J'avais 17ans et je suis ressorti du cinéma le cerveau à l'envers! J'avais l'impression d'avoir assisté à un spectacle de prestidigitation de haute volée, sans avoir rien vu des ficelles.»

Matrix, c'est l'histoire de Thomas Anderson (Keanu Reeves), programmeur dans une entreprise de logiciels et pirate informatique sous le pseudo de Neo. Grâce à un énigmatique individu, Morpheus (Laurence Fishburne), il apprend que le monde dans lequel lui et tout être humain vivent est piloté par des machines. Tout n'est qu'illusionet chacun est enfermé dans la «matrice».

Morpheus conduit un groupe de rebelles qui veut faire éclater lavérité et il propose à Thomas/Neo de les rejoindre. Le jeune homme prend une décision qui change son existence… Ce point de départ débouche sur un film mystérieux, à l'intrigue tortueuse et… c'est ce qui plaît!

Narration complexe etmise en scène ultraréférencée

Le long-métrage est un triomphe mondial. En France, distribué le 23juin, il enregistre près de 4,8millions d'entrées. «Àsa sortie, Matrix a connu un bouche-à-oreille fulgurant, indique Benjamin Clavel. Les sœurs Wachowski ont réussi à faire accepter aux spectateurs un divertissem*nt dont ils ne saisiraient pas tout de suite les tenants et les aboutissants, contribuant à ouvrir une voie à des narrations complexes. Matrix est d'ailleurs l'un des premiers films à soulever des questions auxquelles le public voudra apporter ses réponses. Une quantité de décryptages en a découlé.»

Les sœurs Wachowski – qui sont encore à l'époque les frères Andy et Larry – refusant de commenter quoi que ce soit, les interprétations restent ouvertes, pas seulement pour le premier volet mais aussi pour l'ensemble de la tétralogie. En particulier, les véritables rôles de Neo et de la rebelle Trinity (Carrie-Anne Moss) au sein de l'univers interrogent encore.

Matrix déploie par ailleurs une mise en scène extraordinaire. Tout comme ses suites, le film convoque Philip K. Dick et le cinéma hongkongais, Platon et Star Wars, les comics et 2001: l'odyssée de l'espace… «Les sœurs Wachowski se sont emparées de leurs influences et les ont poussées à l'extrême. Dans Matrix, des genres différents s'expriment, en même temps, et se mélangent comme rarement dans une œuvre, avec une cohérence totale. Cette esthétique ébouriffante et ultraréférencée était novatrice», souligne Benjamin Clavel.

Des films prophétiques

Matrix résonne également avec une époque, celle de la montée en puissance d'Internet, des nouvelles technologies, de la mondialisation, ce qui suscite autant d'engouement que d'inquiétudes. «Les sœurs Wachowski avaient la conviction que ces bouleversem*nts technologiques pouvaient être un apport positif pour l'humanité, permettant des progrès dans tous les domaines, de la médecine à la communication. En parallèle, elles avaient lu les livres et vu les films qui avertissaient du danger de ces avancées.»

Dans Matrix, «elles affirment que si la machine devient libre de ses choix, l'humanité en subira les conséquences», détaille Benjamin Clavel. Le réalisateur complète: «La saga en elle-même est la synthèse de cette attraction et de cette répulsion que les sœurs Wachowski éprouvent pour les nouvelles technologies. La saga n'aurait pu exister sans les innovations, ce qui ne l'empêche pas de les critiquer.»

Matrix, tout commeMatrix Reloaded et Matrix Revolutions, apparaît aujourd'hui comme éminemment prophétique. Ce sur quoi ces films alertaient – le risque que représente l'emprise du virtuel – a pris une ampleur colossale ces vingt-cinq dernières années avec l'addiction aux écrans et aux réseaux sociaux, la propagation des fake news, l'émergence de l'IA… Matrix Resurrections, le quatrième opus sorti en 2021, en fait l'amer constat.

Ce quatrième volet, justement, parachève l'intérêt constant pour la tétralogie, de façon surprenante toutefois. Échec commercial qui a divisé par ailleurs la critique, Matrix Resurrections aurait été voulu par Warner. Lilly Wachowski aurait refusé de s'y atteler. Lana Wachowski, elle, a choisi de s'y coller. Mais elle a livré un film loin des ambitions espérées.

«Mon opinion, c'est que Lana Wachowski a pris les rênes de Matrix Resurrections pour le saborder, confie Benjamin Clavel. Elle est allée volontairement contre tout ce qui était attendu: on ne retrouve pas le Neo d'avant, il n'y a quasiment aucune scène d'action, aucun effet novateur… En revanche, elle y donne son point de vue sur l'évolution du monde et il est assez désespéré! Il y a un côté anarchiste dans son geste, ce qui fait de Matrix Resurrections un objet, quelque part, assez incroyable.» Le film s'attaque même à Hollywood et cible carrément… Warner! Matrix, la saga la plus fascinante du 7^e art? Définitivement, oui.

Matrix Generation, de Benjamin Clavel (53 minutes). Diffusé le mercredi 28août sur Arte à 23h35. Matrix Generation sera précédé de la rediffusion, à 22h40, du documentaire Keanu Reeves – Messie Pop de Julien Dupuy (53 minutes). Les deux documentaires sont en accès libre sur la plateforme arte.tv jusqu'au 25novembre. La saga Matrix est disponible sur les supports vidéo et en numérique.